La réunion de 6 associations d'anciens combattants de la ville de Bagnolet (93). ACPG, ANACR, ARAC, FNDIRP, FNACA et UNC.
6 Septembre 2010
Le 12 janvier 1852 à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) naissait Joseph, Jacques, Césaire Joffre. Fils d'un tonnelier, il sera tour à tour polytechnicien, officier du génie, bâtisseur, colonial à Formose, au Tonkin, au Soudan et à Madagascar, il est nommé, le 28 juillet 1911, chef d'Etat-major général et généralissime désigné pour le temps de guerre. Arrêtant l'invasion allemande sur la Marne en septembre 1914, il est en décembre 1916, le premier maréchal de la Grande Guerre.
En septembre 1914, le général Joffre écrit deux lettres à son épouse, l'une alors que commence la première bataille de la Marne, l'autre quand elle s'achève sur
une victoire. Cette correspondance, inédite à ce jour, apporte un éclairage intime sur l'homme et le soldat.
Dans sa lettre du dimanche 6 septembre 1914, à Châtillon-sur-Seine, le général Joffre précise à son épouse qu'il est dans << la tourmente >>. C'est un fait indéniable. Après les échecs initiaux, assumant ses erreurs, il doit faire face à une pression allemande très vive notamment de "son aile droite marchante" (Ie armée du général von Kluck et IIe armée du général von Bülow).
A partir du 24 août, il ordonne la retraite, qui concerne à l'ouest la Ve armée (général Lanrezac) et la "British Expeditionary Force' (B.E.F.) du maréchal French. Pour Joffre, il faut gagner du champ afin de reconstituer une masse de manoeuvre, susceptible de reprendre l'offensive.
Pour renforcer son aile gauche et son centre, il constitue deux groupements avec la VIe armée (général Maunoury), qui sera mise ultérieurement lors du repli, à la disposition du général Gallieni, commandant le camp retranché de Paris, et la future IXe armée (général Foch). Mais devant la vigueur de l'offensive allemande, la ligne d'arrêt "Somme-Aisne" étant dépassée, le choix de la contre-offensive s'impose peu à peu soit sur la Marne, soit sur la Seine.
La situation est donc dramatique, accentuée par le désarroi des parlementaires, le changement ministériel du 26 août, les alarmes du gouvernement qui a rejoint Bordeaux le 2 septembre, et le désastre de l'allié russe à Tannenberg, fin août.
Dans sa correspondance, le généralissime est serein. Son activité est inlassable sur le terrain, contrairement à son adversaire, le général von Moltke, isolé à son PC de Coblence puis du Luxembourg. Tenant ses armées en main, qu'il a dû << remonter >>, il est ainsi le 26 août à Saint-Quentin (B.E.F.), le 28 à Marie (Ve armée), le 29 à Compiègne (B.E.F.) et à Laon (Ve armée), le 30 à Varennes (IIIe armée) enfin le 5 septembre près de Melun (B.E.F.).
Joffre a surtout le souci d'assurer la liaison avec les Britanniques qui ne sont pas sous ses ordres. De surcroît, la mésentente entre le général Lanrezac et le
maréchal French ne lui facilite pas la tâche. Il obtient néanmoins, grâce à sa capacité de persuasion, sa << collaboration complète >> lors de l'entretien du 5 septembre. Invoquant
<< l'honneur de l'Angleterre >>, il a eu une réponse devenue légendaire : << I will do all my possible! >> (je ferai tout mon possible!).
<< La grande bataille commence >> poursuit Joffre. En effet, les armées allemandes cherchent toujours l'anéantissement. Sur leur aile droite, la IIe armée, masquant Paris, infléchit son effort de poursuite vers le sud-est, mais dépasse la Marne à Château-Thierry, contrairement aux ordres reçus. Face à cette situation aventurée, Joffre décide le 4 septembre la contre-offensive générale s'appuyant sur huit armées et les môles défensifs de Paris, Verdun et du Grand Couronné.
L'effort majeur doit être néanmoins consenti sur la Marne par des actions frontales liées à une attaque de flanc effective d'ailleurs, au nord de la Marne, dès le 5 septembre. Mais << tout dépendra maintenant des exécutants >> précise Joffre. Ces derniers ont répondu ou répondront à son attente, avec les grands subordonnés -le général Gallieni avec lucidité a proposé dès le 3 septembre la manoeuvre de flanc du général Maunoury, le maréchal French, le général Franchet d'Esperey, successeur du général Lanrezac, qui a joué un rôle important avec le général Foch dans la genèse de la bataille, les généraux Langle de Cary (IVe armée), Sarrail (IIIe armée), de Castelnau (IIe armée) et Dubail (Ie armée)- avec les cadres du grand quartier général, mais avec aussi et surtout les soldats de Grande-Bretagne et de France.
A l'étonnement de l'ennemi, alors qu'ils étaient traumatisés par la retraite effectuée toutefois en bon ordre, les pertes, la chaleur de l'été et l'invasion, ils montrent un élan
retrouvé le moment venu.
Joffre définit en outre avec humilité son action: << J'ai fait tout ce qu'il est humainement possible de faire pour que l'issue nous soit favorable. Espérons! >>. Enfin, tout en précisant que son analyse est pour << toi seule, ma chère adorée >>, il reconnaît également qu'il << se maintient en très bon état >>.
Il a en réalité une santé de fer. L'homme à maintenant 62 ans. Mais malgré le poids écrasant de ses responsabilités, le surmenage, la situation cruciale, il n'y a pas d'angoisse dans sa relation épistolaire. Quel contraste avec le général von Moltke, pendant la même période, << à bout de résistance morale et nerveuse >> dans ses lettres à la comtesse Elisa, son épouse.
La correspondance du samedi 12 septembre traite de << bataille de la Marne, qui est une victoire >>. Joffre annonce la retraite allemande << partout >> avec un ton joyeux mais non grandiloquent.
Au total, ces missives dévoilent un généralissime en pleine possession de ses moyens. La Marne est une victoire du commandement et une victoire collective. Plus particulièrement, Joseph Joffre montre son sang-froid, sérénité, confiance en soi, capacité de persuasion, énergie, volonté, mais aussi humilité du chef face à l'évènement. La dominante de cette personnalité hors du commun reste toutefois la force de caractère, << vertu des temps difficiles >> écrira Charles de Gaulle, qui explique la place éminente du maréchal dans la mémoire collective du peuple français.
Général André Cousine
Les Chemins de la Mémoire / N° 117 05-02