La réunion de 6 associations d'anciens combattants de la ville de Bagnolet (93). ACPG, ANACR, ARAC, FNDIRP, FNACA et UNC.
17 Décembre 2008
C'est probablement le 9 novembre 1942 qu'un convoi de Sinti et Roms de sexe masculin et de nationalité allemande, polonaise, tchèque et hongroise quitta le
camp d'Auschwitz en direction de l'Alsace. Âgés de 11 à 64 ans, les prisonniers étaient déjà si faibles et malades que dix-huit d'entre eux décédèrent au cours du transport. Les quatre-vingt-deux
survivants furent enregistrés officiellement à Natzweiler le 12 novembre 1943. Après un examen médical, Haagen refusa ces <<cobayes>>. Il se plaignit du mauvais état de santé du
<<matériau>> - comme il les qualifia - et demanda de nouveaux prisonniers à Auschwitz. Après le décès de dix autres déportés, les soixante-douze qui étaient encore en vie furent
renvoyés à Auschwitz en décembre 1943.
Haagen obtint très vite de nouvelles victimes; les SS organisèrent à Auschwitz un autre convoi de 89 hommes, qui, en raison de leur bon état physique,
constituaient à leurs yeux un <<matériau expérimental>> idéal pour Haagen. Après un voyage en train d'environ huit jours dans des conditions inhumaines, ces derniers furent
enregistrés à Natzweiler probablement les 10 et 11 décembre. Fin janvier/début février, les expériences sur le typhus exanthématique commencèrent.
Le Sinto Karl Kreutz rédigea ce témoignage après la guerre: <<Nous étions strictement isolés des autres prisonniers du camp. [...] Nous
avions tous très peur. Un jour, peut-être vers 10 heures, nous avons tous dû nous rendre dans un cabinet médical. Nous avons été accueillis par deux hommes en blouse blanche, avec une
amabilité hypocrite, mais avec des yeux glacés. Je n'ai jamais pu connaître les noms de ces soi-disants médecins. Sans un mot, on m'a pris le bras gauche pour le lacérer en grillage, jusqu'à ce
qu'il saigne abondamment. Cette procédure était très, très douloureuse. Sur cette hémorragie abondante, on m'a versé et enduit presque toute une cuillère de poison du typhus. Mon bras gauche fut
maintenu vers le haut jusqu'à ce que le poison se soit mélangé avec mon sang. De ce fait, il était impossible pour moi et pour les autres de rincer le poison. Après cette intervention satanique
chez les 40 camarades, nous savions avec certitude que nous servions de cobayes pour des bourreaux. Après très peu de temps, nous étions tous allongés avec une très forte fièvre. Nous devions
tous avoir au moins 39 à 40° de fièvre - on ne l'a pas mesurée. La fièvre dura très longtemps. Nous avions appris plus tard que cette fièvre avait duré plus de dix jours sans interruption. Nous
tombions des lits, sans vie et sans forces. [...] Personne ne s'est occupé de nous.>>
Nombreuses furent les victimes des expériences sur le typhus qui connurent une mort
atroce. Aujourd'hui encore, on ne peut en donner le nombre exact (2). Otto Bickenbach, nommé professeur à l'université du Reich nouvellement fondée à Strasbourg en novembre 1941,
utilisa lui aussi des Sinti et Roms pour des expériences au camp de Natzweiler. En avril ou mai 1943, il y réalisa, avec l'aide de son assistant, le médecin adjoint de la Luftwaffe
Helmut Rühl, la première de deux à trois séries d'expériences avec du gaz toxique au phosgène dans une chambre à gaz spécialement préparée dans ce but. 24 prisonniers au total, dont des Sinti et
Roms, y furent soumis. Deux des victimes décédèrent le 7 et le 25 mai 1943. Comme causes officielles de la mort, l'administration du camp nota <<pneumonie>> et <<faiblesse
cardiaque et physique>> dans les certificats de décès. En décembre 1943 et en juin et août 1944, plusieurs expériences avec des gaz toxiques furent effectués sur des prisonniers Sinti et
Roms.
Eugen Haagen et Otto Bickenbach furent traduits devant le Tribunal de Nuremberg chargé de juger les criminels de guerre, ainsi que vingt et un autres médecins. Un tribunal français les condamna
aux travaux forcés à perpétuité en 1954. Deux ans plus tard, ils furent renvoyés en Allemagne dans le cadre d'une amnistie. Haagen obtint une chaire de professorat et travailla pour le centre
fédéral de recherche sur les maladies virales des animaux. Otto Bickenbach s'installa à nouveau comme médecin. Un tribunal pour les professions de santé à Cologne rendit le jugement suivant à son
sujet le 10 février 1966: <<On ne peut lui reprocher ni un comportement relevant du droit pénal, ni une violation des obligations professionnelles d'un médecin>>.
Quant à Helmut Rülh, il devint directeur médical en chef en Rhénanie du Nord-Westphalie.
Tandis que Haagen, Bickenbach et de nombreux autres responsables du génocide des Sinti et Roms menèrent une vie normale en toute impunité après la guerre, les victimes restèrent des décennies à
l'écart de la mémoire historique et du souvenir collectif des nations européennes.
Lutter contre l'oubli et étudier plus de six cents ans d'histoire de ces populations en Allemagne, tels sont les objectifs que s'est fixés le Centre de documentation et de la culture des Sinti et
Roms allemands de Heidelberg que nous vous présenterons dans un prochain article.
Romani Rose
Président du Conseil Central des Sinti et Roms d'Allemagne (Heidelberg)
Les Chemins de la Mémoire n°180 - 02-2008
(2) Lors du procès des médecins à Nuremberg, l'ancien prisonnier hollandais Nales déclara que la série d'expériences de Haagen avait provoqué plus de
vingt-neuf décès.