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Le blog de l'ULAC de Bagnolet

La réunion de 6 associations d'anciens combattants de la ville de Bagnolet (93). ACPG, ANACR, ARAC, FNDIRP, FNACA et UNC.

Les années noires 1940-1944: un "Âge d'or" pour le cinéma français ? (2/2)

enfants

Seconde partie: "Derrière le rêve, l'ordre établi".

 

cinémaPour ne pas être en reste et faire passer sa propre idéologie, Vichy lance à son tour une politique de propagande cinématographique.

Elle se manifeste avant tout dans les documentaires diffusés dans les salles avant le film, mais aussi dans des productions comme le Péril juif, réalisé en juillet 1942 au moment de la rafle du Vel'd'Hiv, ou Forces Occultes, qui sont  distribués après le retour de Pierre Laval, lorsque le gouvernement cherche à susciter l'adhésion de l'opinion à sa politique antisémite.

Il s'agit donc moins de montrer à l'écran l'avènement d'une société nouvelle que de dénoncer les responsables de l'effondrement d'une société dévorée de l'intérieur par << l'Anti-France >>. La propagande est triple: 1. vichyste autour du Maréchal et de la Révolution nationale, 2. anti-alliée et enfin 3. pro-allemande. En outre, le contrôle de l'information est primordial pour manipuler et convaincre l'opinion.

20091130-232215-FyRwCAfin d'asseoir leur monoparole, les Allemands interdisent les prises de vues et la distribution des actualités françaises dans la zone occupée, où ils imposent la diffusion d'un journal unique d'actualités allemandes Die Deutsche Wochenschau (5).  

Dès le mois d'août 1940, ces actualités suscitent, dans les salles de cinéma, des réactions d'hostilité, relevées aussi bien par des préfets que par la propagande allemande elle-même!

En zone Sud, le gouvernement de Vichy met en place, le 10 octobre 1940, le Journal France-Actualités-Pathé.

Par la suite, de 1942 à 1944 (après l'occupation de la zone Sud et l'essor de la collaboration entre Vichy et le Reich), c'est une société mixte au capital à 60% français et 40% allemand, France-Actualités, qui détient le monopole sur toute la France.

Pour ce qui concerne les films français de fiction, contrairement au cinéma allemand et italien de la même époque, ils ne véhiculent pas les grands thèmes fascistes que diffusent la presse parisienne ou "Radio-Paris". L'ennemi est absent des scénarios, ni Juif, ni Anglais, ni franc-maçon, ni communiste. Le cinéma fournit alors la dose d'évasion nécessaire pour que les Français oublient, en se divertissant, la rigueur des temps.

Cependant, derrière le rire et le rêve, ces films reflètent une forme d'idéologie, une certaine vision de la société française qui met en exergue ses aspects les plus traditionalistes et les plus conservateurs. Ce n'est d'ailleurs pas uniquement la France de Vichy qui transparaît  -même si on y décèle les << fondements moraux >> de la Révolution nationale- .

La société qu'on y dépeint servait déjà de toile de fond à beaucoup d'oeuvres antérieures à 1940. L'étude, par Jean-Pierre Bertin-Maghit, des récits de quelques 240 films de fiction, permet de dégager les << valeurs maîtresses >> sans lesquelles l'ordre établi ne peut se perpétuer: la communauté, la lutte et le bonheur.

le-corbeauDerrière ces << valeurs >>, une morale simple: rien n'est acquis d'avance et il faut mériter son bonheur. Mais au sein de quelle société?

Une société dans laquelle la bourgeoise -catholique- est omniprésente. Couple et famille en sont les assises; le grand capital y est peu représenté. Le père est une autorité qui pense pour les autres, transmet l'héritage et incarne la morale vichyssoise (6).

La "vamp" existe toujours (Ginette Leclerc dans Le Corbeau de Henri-Georges Clouzot), la demi-mondaine apparaît encore (Mam'zelle Bonaparte de Marice Tourneur), mais la femme, généralement synonyme de << devoir >> et de << sacrifice >>, est cantonnée dans un rôle bien défini (Premier de Cordée de Louis Daquin ou La Symphonie Fantastique de Jean Faurez).

Cette société ignore les conflits de classes et connaît ainsi l'harmonie. En revanche, les allusions implicites à une attitude de résistance ou à un patriotisme de combat sont très rares, d'autant plus, que même la représentation de la Patrie est victime d'une censure allemande et française très pointilleuse.

On note cependant quelques exceptions avec Les Visiteurs du Soir (avril 1942), La main du Diable (août 1942), Adieu Léonard (janvier 1943), L'homme qui vendit son âme (février 1943), Vautrin (juin 1943), Les Dames du Bois de Boulogne (mai 1944), Pontcarral colonel d'Empire (1942) (7).

Les Allemands et le gouvernement de Vichy ont donc voulu utiliser le cinéma comme un vecteur de leur propagande politique. Cette tentative fut un échec car l'impact sur le public fut nul, malgré une fréquentation élevée des salles jusqu'à la fin de 1943. En effet, selon le témoignage des préfets, les films de pure propagande ont été rejetés par les spectateurs.

Quant aux films de fiction, ils ont été aimés, voire admirés, par le public pour leur trame dramaturgique et la part de rêve qu'ils lui apportaient. Mais le film de fiction, en raison de son temp de fabrication, ne peut intégrer l'actualité aussi vite qu'un film de pure propagande. Il relève d'une propagande implicite et << sociologique >>. L'analyse de ces films montre bien le décalage entre leur contenu et l'évolution de l'opinion, notamment à partir de 1943.

cinéma-copie-1Bien qu'ils aient appartenu à des organisations collaborationnistes (très peu), ou qu'ils aient contribué à des mouvements de résistance (plus nombreux) (8), les auteurs de cinéma français se sont abstenus d'exprimer directement dans leurs oeuvres leur choix idéologique.

On n'y voit pas le reflet de l'engagement de la profession. On ne doit pas non plus y voir le simple effet des directives de la censure ou de l'autocensure.

Les cinéastes unanimement laissent entendre que les années d'Occupation ont été un << âge d'or >> pour le cinéma français.

Mais se replier derrière des considérations esthétiques "une nouvelle école française est née"; avouer ne pas s'occuper du contexte politique dans une période d'Occupation, simplement parce qu'on est trop occupé à faire son métier, rechercher l'évasion à tout prix, réaliser << un cinéma français pour les Français >>, avoir gommé tous les aspects sombres de la vie quotidienne, n'est-ce pas avouer indirectement que l'on s'est accomodé des circonstances politiques? (Jean-Pierre Bertin-Maghit).

 

Antoine Germa

Historien, intervenant au "Forum des Images de Paris".

Les Chemins de la Mémoire / n° 141 / 07-08 04

 

Notes:

(5). L'une des 17 éditions spéciales des Actualités mondiales que la Deutsche Wochenschau (GMBH) diffuse dans 35 pays.

(6). Fièvres de Jean Delannoy, Premier de Cordée de Louis Daquin, Andorra ou les hommes d'Airaim d'Emile Couzinet...

(7). L'esprit frondeur des Visiteurs du Soir est connu: le film montre que la résistance morale peut vaincre en s'appuyant sur les dissensions internes de l'occupant. La fibre nationaliste du film Pontcarral, colonel d'Empire, repérée par la censure allemande, et par le public qui ne manque pas d'applaudir, est manifeste à la fin dans le défilé de l'armée française qui part pour l'Afrique du Nord.

(8). Notamment autour du << réseau de résistance du cinéma français >>, qui deviendra une section de la CGT et du Front National, avec des réalisateurs comme Jean Grémillon, Jean Delannoy, Jacques Becker, Claude Autant-Lara...

 

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