5 Mars 2009
Troisième partie: Une frénésie
répressive
Convaincu de l'existence d'un <<comié maure>> qui complotait dans l'ombre -comme l'avait fait le <<comité anglais>>
pendant le Consulat-, il décida de rendre <<coup pour coup>>. En mai 1832, une reconnaissance française fut attaquée alors qu'elle fauchait un champ. Une colonne de 1
500 hommes embarqua sur des navires, prenant la direction des tribus Amraona et Isser pour leur faire subir le même sort qu'aux Ouffias. Heureusement, une tempête se leva et le débarquement dut
être annulé. Plus tard, un bateau tunisien transportant un agent de l'ancien bey d'Alger fut intercepté. L'homme fut arrêté, jugé et fusillé. En septembre, à Sid-Aïd, le général Faudoas
défit une bande rebelle, tuant plus de 400 hommes, sans faire de prisonniers. En novembre, croyant un soulèvement général imminent, Savary leva une garde nationale à Alger.
Les conséquences d'une telle politique ne se firent pas attendre. L'Algérie résonna bientôt de rumeurs de révolte. Les Arabes ne fréquentaient plus les marchés, retiraient les troupeaux de la
plaine, des armes circulaient et des mécontents tentaient de constituer une armée à l'embouchure de l'Isser. Le marabout Sidi-Saadi prêcha la guerre sainte. Les Français durent évacuer leurs
postes les plus avancés, tandis que les escouades isolées étaient massacrées. Une contre-offensive de Faudoas poussa les chefs arabes à envoyer des négociateurs à Alger.
En échange d'une trêve, Savary exigea que les villes ayant pris part à la rébellion soient lourdement taxées. Lorsque Blida refusa de payer, Faudoas y pénétra, confisqua tout ce qu'il trouvait de
précieux. Comme il ne pouvait se saisir des notables, il les poursuivit et étendit les réquisitions à tous les villages qu'il traversait. De nouvelle exécutions furent offertes à l'édification
des masses algériennes. Savary plaça des hommes de confiance à la tête des tribus qui se soumettaient, déporta en France les principaux meneurs, envoya un brick menacer Constantine dont
le bey, El Hadj Hamed, s'était avanturé à protester contre les méthodes des Français.
Savary fit encore exécuter deux cheiks venus négocier. Cette fois à Paris, la réprimande de Soult fut vive: << Il n'y a pas ici d'exécution sans jugement, mais ce qui a précédé la
traduction devant le conseil de guerre peut certainement être considéré comme la violation d'un sauf-conduit [...] [De tels moyens] tendraient à détruire dans le pays toute la
confiance dans nos promesses et le gouvernement ne pourrait approuver un tel usage de votre pouvoir discrétionnaire >>.
La politique brutale de Savary commençait à inquiéter, tant en France qu'en
Algérie, La Gazette du Midi craignait que les capitaux fuient la colonie française. Le Sémaphore, pourtant très dur à l'égard des autochtones, s'étonnait, de la
brutalité de la répression. Quant au gouvernement, il s'interrogeait sur la capacité de son représentant à <<pacifier>> le territoire. Dans l'entourage même du duc de Rovigo,
quelques-uns doutaient (à juste titre, semble-t-il) de son état mental. Le général Brossard écrivit: << Le caractère définitif du commandement et de l'administration du duc de Rovigo
est une impétuosité brusque, violente, irréfléchie dans les paroles, et incohérente dans son action, ayant pour objet de faire prévaloir ses capricieuses volontés indépendamment de la nature des
choses et, souvent en dépit de la raison, sans considération du juste et de l'injuste >>.
Au début de 1833, alors que la situation n'était ni plus tranquille, ni plus grave que d'habitude, le gouverneur fut pris d'une sorte de fébrilité: << Nous sommes menacés d'une attaque
qui ne nous inquiète guère, écrivit le général Crezel, mais le duc de Rovigo en perd la tête, et devient fou par l'approche du danger qu'il exagère. Hier, dans une espèce de
conseil où nous étions une vingtaine, il a sérieusement parlé de mettre dans les vasques d'une fontaine de l'eau de vie et du sucre, de façon de faire une espèce de grog que les soldats boiraient
en passant. Il nous a conté dix autres absurdités de la même force... Où diable Bonaparte a-t-il pêché ce ministre là ? >> Compte tenu des plaintes qui lui arrivaient et des
dissenssions palpables dans l'état-major de l'armée d'Afrique, nul doute que le gouvernement ne tolérerait plus longtemps cette dérive des affaires algériennes.
Depuis quelques semaines, un violent mal de gorge empêchait Savary de vaquer normalement à ses occupations. Les Arabes voyaient une punition divine dans la maladie du commandant en chef. La
science démontra qu'il était atteint d'un cancer du larynx. Le 3 mars 1833, l'armée d'Algérie apprit que son général devait rentrer en France pour se faire soigner. Le 4, il s'embarqua à
destination de Toulon. Le 30 mars, les médecins rendirent leur diagnostic: Savary était condamné. Il mourut dans son hôtel de la rue Matignon, le 2 juin 1833, à l'âge de 59 ans. A sa façon,
l'ancien ministre de la Police de Napoléon avait marqué l'histoire de la colonisation de l'Algérie.
Territorialement, il l'avait développée vers le centre du pays. Militairement, il l'avait placée sous des auspices de "fermeté", voire de cruauté à l'égard des autochtones. Politiquement, il
avait brisé toutes les tentatives du pouvoir civil de prendre le dessus sur le pouvoir militaire. En juillet 1833, une commission d'enquête allait rendre un rapport accablant sur sa politique,
sans qu'au fond rien ne change. Quant aux historiens, ils dressèrent un bilan peu favorable du gouvernement algérien de Savary: << L'ancien ministre de la police impériale incarnait le
despotisme napoléonien dans ses procédés les plus discutables, note l'un d'eux, en 1930. Peu soucieux des formes légales, médiocrement scrupuleux dans le choix des moyens, il
gouverna l'Algérie comme un pacha turc >>.
Thierry Lentz
Directeur de la Fondation Napoléon
La guerre d'Algérie magazine n° 3 / 05-06-2002
Juillet 1833: UNE COMMISSION D'ENQUÊTE CRITIQUE LES METHODES
DE LA COLONISATION
<< Si l'on s'arrête un instant sur la manière dont l'occupation a traité les indigènes, on voit que sa marche a été en contradiction non seulement avec la justice, mais avec la
raison [... ]. Nous avons profané les temples, les tombeaux, l'intérieur des maisons, asile sacré chez les musulmans. On sait que les nécessités de la guerre sont parfois irrésistibles, mais on
devrait trouver dans l'application des mesures extrêmes des formes de justice pour masquer tout ce qu'elles ont d'odieux. Nous avons envoyé au supplice, sur un simple soupçon et sans procès, des
gens dont la culpabilité est toujours restée plus que douteuse; leurs héritiers ont même été dépouillés. Le gouvernement a fait restituer les biens, il est vrai, mais il n'a pu rendre un père
assassiné. Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits; égorgé, sur un soupçon, des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentes; nous avons mis en jugement des hommes
réputés saints du pays, des hommes vénérés, parce qu'ils avaient assez de courage pour venir s'exposer à nos fureurs, afin d'intercéder en faveur de leurs malheureux compatriotes; il s'est trouvé
des juges pour les condamner et des hommes civilisés pour les faire exécuter [... ]: en un mot, nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser et nous nous plaignons de
n'avoir pas réussi auprès d'eux >>.
La commission d'enquête concluait cependant: << L'honneur et l'intérêt de la France lui commandent de conserver ses possessions sur la côte septentrionale d'Afrique >>.
Cité par P. Montagnon, "Histoire de l'Algérie. des origines à nos jours", 1998, pp. 175-176.
BIBLIOGRAPHIE
- Lentz (Thierry), Savary. Le séide de Napoléon, Paris, Fayard, 2001.
- Melchior-Bonnet (B.), Savary, duc de Rovigo, Paris, Perrin, 1962.
- Correspondance du duc de Rovigo, commandant en chef de l'armée d'occupation d'Afrique, Paris-Alger, A. Jourdan, 1900-1904, 4
vol.